Jamais deux sans toi !

La femme de Jean sortit de la salle de bains en trombe tout en brandissant un petit bâtonnet qu’il reconnut immédiatement bien malgré lui…

« Chérie, je suis enceinte ! »

Normalement, Jean aurait été heureux, excité et il serait monté sur le toit de la maison pour le crier haut et fort au voisinage mais pas cette fois-ci.  Il était plutôt paniqué, inquiet et nerveux.  C’était le cas aussi pour sa conjointe qui s’assit à ses côtés l’air identique au sien.

Comme l’avortement était hors de question pour eux, ils se rendirent à l’évidence qu’ils allaient être parents à nouveau dans 9 mois.

Il serait probablement important de préciser, avant de continuer, qu’à cette époque Jean et Marie étaient de jeunes trentenaires et qu’ils étaient déjà parents de 2 magnifiques garçons : Mathieu 7 ans et Alexis 3 ans.

Ils faisaient donc bien partis de cette course folle qu’est la vie parentale.  Entre le travail, la garderie, l’école, l’épicerie, le ménage, le lavage, la famille, les amis et les centaines d’autres choses qui les tenaient occupées, ils avaient bien appris à vivre dans un mode de fatigue constante.

Et maintenant, au même moment où ils étaient entrain de reprendre un certain contrôle sur les multiples facettes de leur vie, ce chiffre impair fit son apparition et vint ébranler cette quasi-stabilité qui commençait à s’installer mais oh combien tranquillement.

Car une famille de 4 c’est le chiffre magique, symétrique et fortement encouragé pour tous les forfaits familiaux de ce monde.

5 c’est le chiffre qui dérange, le mésadapté social qui est incapable d’avoir de bons prix et dont le seul endroit où il est accepté à bras ouverts est chez Costco.

Comment allaient-ils faire pour s’ajuster ?  Pas seulement monétairement mais aussi au niveau automobile, au niveau de l’horaire et au niveau de l’organisation des chambres.

« En plus, à 3 enfants, il y en a toujours un qui est pris pour jouer seul ou bien qui dérange l’équilibre des 2 autres », se disaient-ils.

« C’est de la gestion supplémentaire de chicanes et encore plus de discipline. »

La grossesse débuta alors sans aucune complication mais avec tellement d’interrogations encore de leur côté.

La journée où Jean apprit que ce serait un troisième garçon, il avait même sérieusement pensé à se trouver un deuxième emploi juste pour mettre de l’argent de côté afin de payer pour l’épicerie lorsqu’il aurait 3 ados vivants sous son toit.

Après plusieurs mois vint enfin le grand jour de l’accouchement.

Tout se déroula comme prévu…

Et ce fût au moment même où le petit Nicolas ouvra ses tout petits yeux noirs que toutes les inquiétudes, les peurs et les craintes se dissipèrent instantanément chez Jean et Marie.

« Comment avons-nous pu penser pendant un instant vivre sans ce petit être si parfait et si vulnérable en même temps ? », se dit Marie les yeux remplis d’eau.

C’est comme si toutes leurs interrogations avaient été effacées par ce petit garçon de quelques livres à peine.

Les mois et les années passèrent aussi vite qu’ils l’avaient imaginés.  Les 3 enfants se mirent à grandir de plus en plus rapidement.  Les petits problèmes d’enfants devinrent de gros problèmes d’adolescents et bientôt de jeunes adultes.

Cette famille vivait dans un chaos formidable mais ils réussissaient à faire en sorte que ça fonctionne.  C’était leur vie de fous à eux et ils ne l’auraient échangé pour rien au monde.

Un jour, Jean, qui vivait maintenant la vie de jeune retraité, reçu un appel alors qu’il était en voiture.  C’était son fils Nicolas qui était maintenant avocat pour une petite firme en ville.

« Papa ? J’ai l’honneur de t’annoncer que tu vas être grand-papa encore une fois !! », lui dit-il la voix remplie de bonheur.

Jean était tellement heureux d’entendre son cadet lui prouver encore une fois combien il avait été bête d’avoir autant douté il y a de ça presque 30 ans aujourd’hui.

Pris dans ses pensées et dans son nuage, il ne vît jamais le camion qui s’en venait vers sa gauche et qui n’avait pas arrêté à son feu rouge.

L’impact vu tellement brutale que la tête de Jean se fracassa sur la vitre du côté passager.

 


 

 

Jean se réveilla en sursaut et un peu étourdi.  Il reprit ses esprits pour se rendre compte qu’il était couché dans son lit en tenant un grand sac de plastique rempli d’eau entre ses mains.

Il se retourna vers sa table de chevet afin d’y voir l’heure.  Le cadran affichait 15h32 ce qui l’étonna car il ne dormait jamais l’après-midi.

Son regard fût alors attiré vers un cadre avec plusieurs photos de famille.  Il y vît sa femme, Mathieu, Alexis et lui dans diverses activités mais aucune trace de Nicolas.  Il saisit alors son cellulaire afin d’y voir la date… 25 septembre 2015 !

Son cerveau se mit alors à tourner et à se questionner sur ce qui est en train de se dérouler jusqu’à ce que soudainement tout lui revienne.

Le sac d’eau qu’il tenait entre les mains était rempli de glace quelques heures auparavant.

Ce matin-là, Jean avait son rendez-vous avec le médecin pour sa vasectomie.

À son retour à la maison, il s’était étendu dans son lit avec une compresse froide afin de faire passer la petite douleur inconfortable suite à l’opération.

Il se rendit compte alors que Nicolas n’avait donc jamais existé…

Il ressentit un petit pincement au cœur mais en même temps il se rendit compte de la chance qu’il avait d’avoir une si belle famille déjà.

En souriant et en s’assoupissant à nouveau, Jean se dit qu’il pourra toujours revivre cette vie fictive de temps en temps en fermant les yeux.

Par contre, pour cette fois-ci, il se dit plutôt qu’il allait voir ce qu’aurait été sa vie avec une petite fille comme troisième enfant….

 

F.

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